Le chômage n’est pas toujours le résultat d’un déséquilibre
durable ou structurel du marché du travail. Il peut aussi être provoqué par les
variations de la conjoncture économique, c’est-à-dire par les phases
successives de croissance et de ralentissement que traverse une économie. On
parle alors de chômage conjoncturel, un phénomène qui traduit le lien
direct entre la production, la demande et l’emploi. Comprendre ce lien permet
de mieux saisir le rôle des politiques économiques dans la stabilisation du marché
du travail.
I. Le lien entre croissance et emploi : la
logique du cycle économique
L’activité économique évolue selon un mouvement cyclique :
elle alterne des phases d’expansion, de crise, de récession et de reprise.
Pendant une phase d’expansion, la demande des ménages et des entreprises
augmente, les entreprises produisent davantage, embauchent et investissent. Le
chômage recule. À l’inverse, lorsqu’une économie entre en récession –
c’est-à-dire que la production diminue pendant plusieurs trimestres –, les
entreprises subissent une baisse de leurs ventes et réduisent leurs effectifs.
Le chômage augmente alors, souvent plus vite que la baisse de la production
elle-même.
Cette relation entre croissance et emploi a été mise en
évidence par l’économiste britannique Arthur Okun dans les années 1960. Selon
la « loi d’Okun », une croissance trop faible ne suffit pas à absorber la
hausse de la population active : il faut un certain rythme minimal de
croissance pour stabiliser ou réduire le chômage. En France, les économistes
estiment qu’il faut environ 1,5 à 2 % de croissance annuelle pour que le
chômage recule, un seuil qui varie selon la productivité et la démographie.
La crise financière de 2008 a illustré ce lien avec
brutalité : lorsque le PIB mondial a chuté de près de 2 % en 2009, le chômage a
bondi dans la plupart des pays développés, dépassant 10 % dans la zone euro. De
même, la crise du Covid-19 a entraîné en 2020 un effondrement sans précédent de
la production : le PIB français a reculé de 8 %, provoquant une explosion du
chômage partiel et une perte massive d’heures travaillées, avant que les
politiques de soutien ne permettent un redressement rapide dès 2021.
II. Le rôle de la demande globale dans la
création d’emplois
L’emploi dépend fondamentalement du niveau de la demande
globale, c’est-à-dire de la somme de la consommation, de l’investissement,
des dépenses publiques et des exportations nettes. Lorsque la demande est
forte, les entreprises produisent plus et recrutent. Lorsqu’elle faiblit, elles
ajustent d’abord leur production, puis leurs effectifs. Ce mécanisme explique
pourquoi le chômage conjoncturel est sensible aux variations du climat
économique mondial.
L’économiste John Maynard Keynes a montré, dans les
années 1930, que le chômage pouvait provenir d’une insuffisance de la demande
globale. Selon lui, il ne suffit pas de laisser faire le marché : en période de
crise, la peur de l’avenir pousse les ménages à épargner davantage et les entreprises
à investir moins, ce qui entretient la récession. Il faut donc une intervention
de l’État pour stimuler la demande, par la dépense publique ou la politique
monétaire. C’est ce qu’on appelle une politique de relance keynésienne.
Ce raisonnement reste valable aujourd’hui. Après la crise
du Covid, les gouvernements des pays développés ont massivement soutenu
l’économie par des plans de relance et des politiques monétaires très
accommodantes. Aux États-Unis, les plans Biden ont injecté plusieurs centaines
de milliards de dollars dans les infrastructures et les ménages, ce qui a
contribué à ramener le taux de chômage à environ 3,8 % en 2024. En Europe, les
politiques de soutien budgétaire et le maintien de taux d’intérêt très bas par
la Banque centrale européenne ont permis d’éviter une explosion du chômage
malgré un ralentissement de la croissance.
III. Les effets différés des fluctuations
économiques sur le chômage
Le marché du travail ne réagit pas immédiatement aux
fluctuations de l’activité. En période de crise, les entreprises hésitent
souvent à licencier trop vite, car elles savent que recruter et former du
personnel coûte cher. Elles préfèrent d’abord réduire les heures
supplémentaires, geler les embauches ou recourir à des dispositifs de chômage
partiel. C’est pourquoi le chômage augmente souvent avec un léger décalage
après la chute de la production.
De même, lors d’une reprise, les entreprises attendent de
s’assurer que la croissance est durable avant d’embaucher de nouveau. On parle
alors de retard de l’emploi sur la conjoncture. C’est ce décalage qui
explique qu’après une crise, la production peut retrouver rapidement son niveau
d’avant, tandis que le chômage met plusieurs années à refluer. En France, après
la crise de 2008, la reprise de la production s’est amorcée dès 2010, mais le
taux de chômage n’est redescendu sous les 8 % qu’en 2019, soit presque dix ans
plus tard.
Ces effets différés sont accentués par les transformations
structurelles de l’économie : automatisation, délocalisations, montée du
numérique. Certaines destructions d’emplois conjoncturelles deviennent alors
durables, car les secteurs en déclin ne recréent pas d’emplois au même rythme
dans les nouvelles activités. En conséquence les chômage naturel augmente ou ne
baisse pas. C’est ce que les économistes appellent parfois un « effet
d’hystérèse » du chômage.
IV. Les politiques économiques face au chômage
conjoncturel
Pour réduire le chômage conjoncturel, les pouvoirs publics
disposent de deux grands leviers : la politique budgétaire et la politique
monétaire. La première agit sur la demande globale par les dépenses
publiques, les baisses d’impôts ou les aides aux ménages. En période de
récession, l’État peut accroître son déficit pour relancer l’activité. C’est la
logique du plan de relance de 2009 ou des mesures post-Covid de 2020-2021.
La seconde politique, menée par la banque centrale,
consiste à jouer sur les taux d’intérêt. En abaissant les taux, la banque
centrale stimule le crédit et l’investissement ; en les augmentant, elle
cherche à éviter la surchauffe et l’inflation. Dans la zone euro, la Banque
centrale européenne a maintenu pendant plusieurs années une politique dite «
accommodante » afin de soutenir la croissance et l’emploi. Cependant, depuis
2022, la remontée des taux pour lutter contre l’inflation a ralenti la demande,
et plusieurs économistes craignent un retour du chômage conjoncturel si la
croissance reste trop faible.
V. Les limites de la relance et les risques de
déséquilibre
Si les politiques de relance peuvent réduire le chômage
conjoncturel, elles ne sont pas sans risques. Une relance excessive peut
provoquer de l’inflation, une hausse de la dette publique et, à terme, des
déséquilibres financiers. De plus, ces politiques sont moins efficaces lorsque
l’économie souffre de rigidités structurelles : si les entreprises peinent à
embaucher faute de main-d’œuvre qualifiée, la relance se traduit davantage par
une hausse des prix que par une création d’emplois.
C’est pourquoi les économistes distinguent bien le chômage
conjoncturel, sur lequel les politiques macroéconomiques peuvent agir à
court terme, du chômage structurel, qui exige des réformes de long
terme. Les deux formes de chômage se superposent souvent : une crise
conjoncturelle peut aggraver les déséquilibres structurels si elle détruit
durablement des compétences ou des emplois. L’efficacité des politiques publiques
repose alors sur leur capacité à coordonner ces deux dimensions.
Le chômage conjoncturel résulte des fluctuations de
l’activité économique. En période de ralentissement, la baisse de la demande
entraîne une réduction de la production et de l’emploi, tandis qu’une reprise
de la croissance favorise la création d’emplois. Ce lien direct entre PIB et
chômage, mis en évidence par la loi d’Okun, explique pourquoi les politiques
budgétaires et monétaires jouent un rôle essentiel dans la stabilisation de
l’économie. Cependant, leurs effets sont souvent temporaires et différés : lorsque
les fluctuations deviennent trop fortes ou trop fréquentes, elles peuvent
transformer un chômage temporaire en chômage durable. L’enjeu pour les
gouvernements est donc de soutenir l’activité sans compromettre la stabilité à
long terme, en articulant relance conjoncturelle et réformes structurelles.