Le chômage, qu’il soit conjoncturel ou structurel, ne se
résorbe pas spontanément. Les pouvoirs publics disposent d’un ensemble
d’instruments pour tenter d’y remédier, en agissant soit sur la demande
globale (relancer l’activité pour créer des emplois), soit sur l’offre
de travail (rendre l’embauche plus attractive et la main-d’œuvre plus
adaptée). Ces politiques, dites de l’emploi, reposent sur des conceptions
économiques différentes mais souvent complémentaires. Elles traduisent des
choix de société : faut-il soutenir l’économie par l’intervention publique ou
par la libération du marché du travail ?
I. Les politiques macroéconomiques de soutien
de la demande globale
Les politiques macroéconomiques s’inscrivent dans la
logique keynésienne. Elles visent à stimuler la demande globale afin
d’encourager la production et, par conséquent, l’emploi. Lorsqu’une économie
traverse une période de récession ou de ralentissement, la baisse de la
consommation et de l’investissement réduit les débouchés des entreprises, qui
réagissent en licenciant ou en gelant leurs recrutements. Pour rompre ce cercle
vicieux, l’État peut intervenir de deux manières : par la politique
budgétaire et par la politique monétaire.
La politique budgétaire consiste à augmenter les dépenses
publiques, réduire les impôts ou distribuer des aides directes pour soutenir la
demande. C’est la logique des plans de relance. En 2020, par exemple, la
France a mis en place un plan de relance de 100 milliards d’euros à la suite de
la pandémie de Covid-19, combinant investissements publics, aides à la
rénovation écologique et soutien à l’emploi des jeunes. Ces mesures ont permis
d’éviter une explosion du chômage malgré la chute du PIB. Au Canada, des
programmes comparables ont injecté plus de 200 milliards de dollars dans
l’économie pour maintenir l’activité et préserver les emplois.
La politique monétaire, menée par la banque centrale, agit
sur le crédit et la liquidité de l’économie. En abaissant les taux d’intérêt,
elle encourage les ménages à consommer et les entreprises à investir. Après la
crise de 2008, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine
ont massivement soutenu la reprise par des politiques de taux bas et de rachat
d’actifs. Ces mesures ont contribué à relancer la croissance et à réduire le
chômage conjoncturel, même si elles ont accru la dépendance des marchés
financiers à la politique monétaire.
Ces politiques de soutien à la demande ont cependant des
limites. Leur efficacité dépend du niveau d’endettement public, du climat de
confiance et de la structure du marché du travail. Une relance trop forte peut
provoquer de l’inflation et creuser les déficits, tandis qu’une relance mal
ciblée peut soutenir la consommation sans générer d’emplois durables. Elles
doivent donc être temporaires et coordonnées avec des réformes de long terme.
II. Les politiques d’allégement du coût du
travail
Une autre approche consiste à agir sur l’offre de travail,
en réduisant le coût que représente l’embauche pour les entreprises. Le coût
du travail inclut le salaire brut et les cotisations sociales versées par
l’employeur. Lorsqu’il est trop élevé par rapport à la productivité, les
entreprises hésitent à recruter, en particulier des salariés peu qualifiés. Les
politiques d’allégement du coût du travail visent donc à encourager l’embauche
en réduisant ces charges.
En France, les dispositifs d’exonération de cotisations
sociales sur les bas salaires – tels que les allègements “Fillon” – ont été mis
en place pour inciter les entreprises à embaucher des travailleurs peu
qualifiés. Plus récemment, le crédit d’impôt pour la compétitivité et
l’emploi (CICE) puis sa transformation en baisse pérenne de cotisations
sociales ont poursuivi cet objectif. Ces mesures ont permis de stabiliser
l’emploi industriel et de réduire légèrement le chômage, même si leur coût
budgétaire reste important.
Au Canada, la logique est similaire : les provinces ont
adopté des programmes de subventions ciblées, de réduction d’impôt pour les
entreprises qui créent ou maintiennent des emplois, ou encore des dispositifs
d’aide à l’embauche des jeunes. Ces mesures visent à compenser le coût initial
du recrutement et à soutenir la compétitivité.
Toutefois, les effets de ces politiques demeurent ambigus.
À court terme, elles peuvent stimuler l’emploi, mais à long terme elles
risquent de peser sur les finances publiques et de favoriser des emplois à bas
salaires. Le risque est de créer une économie dépendante des subventions plutôt
qu’une dynamique autonome de création d’emplois.
III. Les politiques de formation et
d’adaptation des compétences
Le chômage structurel provient souvent d’un décalage entre
les compétences disponibles et les besoins du marché du travail. Les politiques
de formation professionnelle ont donc pour objectif de mieux adapter la
main-d’œuvre à l’évolution des métiers et des technologies. Elles
constituent une réponse de long terme, visant à renforcer l’employabilité
plutôt qu’à soutenir directement la demande.
En France, la formation professionnelle continue, le
compte personnel de formation (CPF) et les programmes de reconversion
cherchent à donner aux travailleurs les moyens d’acquérir de nouvelles
compétences tout au long de leur carrière. Le développement de l’apprentissage
a également permis de réduire le chômage des jeunes, en particulier dans les
métiers techniques et industriels. En 2024, plus de 800 000 jeunes étaient en
contrat d’apprentissage, un record historique.
Au Canada, des dispositifs similaires existent à travers le
programme “Skills for Success”, qui soutient la formation dans les domaines du
numérique, de la transition énergétique et des métiers qualifiés. Le
gouvernement fédéral finance aussi des partenariats entre entreprises et
établissements d’enseignement pour rapprocher les formations des besoins réels
du marché.
Les politiques de formation sont largement reconnues pour
leur efficacité à long terme, car elles réduisent les inadéquations de
compétences et améliorent la mobilité professionnelle. Leur principale limite
réside dans leur délai d’action : il faut du temps pour former, reconvertir ou
requalifier les travailleurs, ce qui les rend moins adaptées aux crises
immédiates.
IV. Les politiques de flexibilisation du marché
du travail
Les politiques de flexibilisation cherchent à rendre
le marché du travail plus réactif face aux fluctuations économiques. Elles
visent à faciliter les embauches et les licenciements, à diversifier les
contrats de travail et à permettre aux entreprises d’ajuster plus facilement
leurs effectifs. L’idée est que plus le marché du travail est flexible, plus il
peut absorber les chocs sans générer un chômage durable.
Les pays nordiques, notamment le Danemark, ont développé le
modèle de la flexisécurité, qui combine grande souplesse pour les
employeurs et protection forte pour les salariés. Licencier y est relativement
simple, mais les travailleurs bénéficient d’une indemnisation généreuse et d’un
accompagnement efficace pour retrouver un emploi. Ce modèle repose sur un
équilibre entre responsabilité individuelle et solidarité collective.
En France, les réformes du droit du travail menées entre
2016 et 2019 ont assoupli les règles d’embauche et de licenciement, favorisé la
négociation d’entreprise et plafonné les indemnités prud’homales. Ces mesures
ont contribué à rendre les embauches moins risquées pour les entreprises, tout
en maintenant un socle de garanties collectives. Au Canada, la flexibilité est
traditionnellement plus grande : la réglementation du travail y est plus légère
et varie d’une province à l’autre, mais le taux de rotation de l’emploi y est
aussi plus élevé.
La flexibilisation a pour avantage d’encourager la création
d’emplois en période de reprise, mais elle peut accroître la précarité si elle
n’est pas accompagnée de protections suffisantes. Le défi est donc d’assurer la
fluidité du marché du travail tout en préservant la sécurité économique des
travailleurs, notamment par des filets de protection et un accès facilité à la
formation.
V. Vers une combinaison des politiques
Aucune de ces politiques ne suffit à elle seule pour
éradiquer le chômage. Les politiques keynésiennes peuvent réduire le chômage
conjoncturel, mais sans agir sur les causes structurelles. Les politiques
d’offre améliorent la compétitivité et la formation, mais leurs effets sont
lents et parfois inégaux. L’efficacité dépend donc de la cohérence
d’ensemble : soutenir la demande tout en réformant l’offre, alléger le coût
du travail sans dégrader la qualité de l’emploi, flexibiliser le marché tout en
renforçant la sécurité.
C’est cette approche mixte qui explique la résilience de
certains pays face aux crises. L’Allemagne, par exemple, a réussi à maintenir
un faible taux de chômage grâce à ses réformes structurelles (réformes Hartz)
et notamment de contrôle et sanctions, combinées à une politique de maintien de
l’emploi en période de crise, notamment grâce au chômage partiel. Le Canada a
également montré une forte capacité d’adaptation en conjuguant flexibilité,
formation et soutien budgétaire ciblé. La France, de son côté, poursuit une
stratégie de convergence progressive entre ces différents modèles.
Les politiques de lutte contre le chômage se répartissent
entre deux grands axes : les politiques macroéconomiques de soutien de la
demande, qui stimulent l’activité à court terme, et les politiques structurelles
de l’emploi, qui cherchent à améliorer durablement le fonctionnement du
marché du travail. Les premières relèvent d’une logique keynésienne et visent à
relancer la production ; les secondes reposent sur la réduction du coût du
travail, la formation et la flexibilisation. La clé réside dans la combinaison
de ces approches : une économie capable à la fois de créer des emplois lorsque
la conjoncture est favorable et de limiter les pertes lorsque survient la
crise. L’objectif final n’est pas de supprimer le chômage – ce qui serait
illusoire – mais de le contenir à un niveau soutenable tout en favorisant la
qualité et la stabilité de l’emploi.