CH03 – Lutter contre le chômage : mécanismes, enjeux et politiques publiques

Economie

Comprendre pourquoi le chômage persiste, comment il évolue et quelles politiques peuvent réellement le faire reculer. Un parcours simple, précis, avec des exemples récents et les notions clés du programme.

Le chômage, qu’il soit conjoncturel ou structurel, ne se résorbe pas spontanément. Les pouvoirs publics disposent d’un ensemble d’instruments pour tenter d’y remédier, en agissant soit sur la demande globale (relancer l’activité pour créer des emplois), soit sur l’offre de travail (rendre l’embauche plus attractive et la main-d’œuvre plus adaptée). Ces politiques, dites de l’emploi, reposent sur des conceptions économiques différentes mais souvent complémentaires. Elles traduisent des choix de société : faut-il soutenir l’économie par l’intervention publique ou par la libération du marché du travail ?

 

I. Les politiques macroéconomiques de soutien de la demande globale

Les politiques macroéconomiques s’inscrivent dans la logique keynésienne. Elles visent à stimuler la demande globale afin d’encourager la production et, par conséquent, l’emploi. Lorsqu’une économie traverse une période de récession ou de ralentissement, la baisse de la consommation et de l’investissement réduit les débouchés des entreprises, qui réagissent en licenciant ou en gelant leurs recrutements. Pour rompre ce cercle vicieux, l’État peut intervenir de deux manières : par la politique budgétaire et par la politique monétaire.

La politique budgétaire consiste à augmenter les dépenses publiques, réduire les impôts ou distribuer des aides directes pour soutenir la demande. C’est la logique des plans de relance. En 2020, par exemple, la France a mis en place un plan de relance de 100 milliards d’euros à la suite de la pandémie de Covid-19, combinant investissements publics, aides à la rénovation écologique et soutien à l’emploi des jeunes. Ces mesures ont permis d’éviter une explosion du chômage malgré la chute du PIB. Au Canada, des programmes comparables ont injecté plus de 200 milliards de dollars dans l’économie pour maintenir l’activité et préserver les emplois.

La politique monétaire, menée par la banque centrale, agit sur le crédit et la liquidité de l’économie. En abaissant les taux d’intérêt, elle encourage les ménages à consommer et les entreprises à investir. Après la crise de 2008, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine ont massivement soutenu la reprise par des politiques de taux bas et de rachat d’actifs. Ces mesures ont contribué à relancer la croissance et à réduire le chômage conjoncturel, même si elles ont accru la dépendance des marchés financiers à la politique monétaire.

Ces politiques de soutien à la demande ont cependant des limites. Leur efficacité dépend du niveau d’endettement public, du climat de confiance et de la structure du marché du travail. Une relance trop forte peut provoquer de l’inflation et creuser les déficits, tandis qu’une relance mal ciblée peut soutenir la consommation sans générer d’emplois durables. Elles doivent donc être temporaires et coordonnées avec des réformes de long terme.

 

II. Les politiques d’allégement du coût du travail

Une autre approche consiste à agir sur l’offre de travail, en réduisant le coût que représente l’embauche pour les entreprises. Le coût du travail inclut le salaire brut et les cotisations sociales versées par l’employeur. Lorsqu’il est trop élevé par rapport à la productivité, les entreprises hésitent à recruter, en particulier des salariés peu qualifiés. Les politiques d’allégement du coût du travail visent donc à encourager l’embauche en réduisant ces charges.

En France, les dispositifs d’exonération de cotisations sociales sur les bas salaires – tels que les allègements “Fillon” – ont été mis en place pour inciter les entreprises à embaucher des travailleurs peu qualifiés. Plus récemment, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) puis sa transformation en baisse pérenne de cotisations sociales ont poursuivi cet objectif. Ces mesures ont permis de stabiliser l’emploi industriel et de réduire légèrement le chômage, même si leur coût budgétaire reste important.

Au Canada, la logique est similaire : les provinces ont adopté des programmes de subventions ciblées, de réduction d’impôt pour les entreprises qui créent ou maintiennent des emplois, ou encore des dispositifs d’aide à l’embauche des jeunes. Ces mesures visent à compenser le coût initial du recrutement et à soutenir la compétitivité.

Toutefois, les effets de ces politiques demeurent ambigus. À court terme, elles peuvent stimuler l’emploi, mais à long terme elles risquent de peser sur les finances publiques et de favoriser des emplois à bas salaires. Le risque est de créer une économie dépendante des subventions plutôt qu’une dynamique autonome de création d’emplois.

 

III. Les politiques de formation et d’adaptation des compétences

Le chômage structurel provient souvent d’un décalage entre les compétences disponibles et les besoins du marché du travail. Les politiques de formation professionnelle ont donc pour objectif de mieux adapter la main-d’œuvre à l’évolution des métiers et des technologies. Elles constituent une réponse de long terme, visant à renforcer l’employabilité plutôt qu’à soutenir directement la demande.

En France, la formation professionnelle continue, le compte personnel de formation (CPF) et les programmes de reconversion cherchent à donner aux travailleurs les moyens d’acquérir de nouvelles compétences tout au long de leur carrière. Le développement de l’apprentissage a également permis de réduire le chômage des jeunes, en particulier dans les métiers techniques et industriels. En 2024, plus de 800 000 jeunes étaient en contrat d’apprentissage, un record historique.

Au Canada, des dispositifs similaires existent à travers le programme “Skills for Success”, qui soutient la formation dans les domaines du numérique, de la transition énergétique et des métiers qualifiés. Le gouvernement fédéral finance aussi des partenariats entre entreprises et établissements d’enseignement pour rapprocher les formations des besoins réels du marché.

Les politiques de formation sont largement reconnues pour leur efficacité à long terme, car elles réduisent les inadéquations de compétences et améliorent la mobilité professionnelle. Leur principale limite réside dans leur délai d’action : il faut du temps pour former, reconvertir ou requalifier les travailleurs, ce qui les rend moins adaptées aux crises immédiates.

 

IV. Les politiques de flexibilisation du marché du travail

Les politiques de flexibilisation cherchent à rendre le marché du travail plus réactif face aux fluctuations économiques. Elles visent à faciliter les embauches et les licenciements, à diversifier les contrats de travail et à permettre aux entreprises d’ajuster plus facilement leurs effectifs. L’idée est que plus le marché du travail est flexible, plus il peut absorber les chocs sans générer un chômage durable.

Les pays nordiques, notamment le Danemark, ont développé le modèle de la flexisécurité, qui combine grande souplesse pour les employeurs et protection forte pour les salariés. Licencier y est relativement simple, mais les travailleurs bénéficient d’une indemnisation généreuse et d’un accompagnement efficace pour retrouver un emploi. Ce modèle repose sur un équilibre entre responsabilité individuelle et solidarité collective.

En France, les réformes du droit du travail menées entre 2016 et 2019 ont assoupli les règles d’embauche et de licenciement, favorisé la négociation d’entreprise et plafonné les indemnités prud’homales. Ces mesures ont contribué à rendre les embauches moins risquées pour les entreprises, tout en maintenant un socle de garanties collectives. Au Canada, la flexibilité est traditionnellement plus grande : la réglementation du travail y est plus légère et varie d’une province à l’autre, mais le taux de rotation de l’emploi y est aussi plus élevé.

La flexibilisation a pour avantage d’encourager la création d’emplois en période de reprise, mais elle peut accroître la précarité si elle n’est pas accompagnée de protections suffisantes. Le défi est donc d’assurer la fluidité du marché du travail tout en préservant la sécurité économique des travailleurs, notamment par des filets de protection et un accès facilité à la formation.

 

V. Vers une combinaison des politiques

Aucune de ces politiques ne suffit à elle seule pour éradiquer le chômage. Les politiques keynésiennes peuvent réduire le chômage conjoncturel, mais sans agir sur les causes structurelles. Les politiques d’offre améliorent la compétitivité et la formation, mais leurs effets sont lents et parfois inégaux. L’efficacité dépend donc de la cohérence d’ensemble : soutenir la demande tout en réformant l’offre, alléger le coût du travail sans dégrader la qualité de l’emploi, flexibiliser le marché tout en renforçant la sécurité.

C’est cette approche mixte qui explique la résilience de certains pays face aux crises. L’Allemagne, par exemple, a réussi à maintenir un faible taux de chômage grâce à ses réformes structurelles (réformes Hartz) et notamment de contrôle et sanctions, combinées à une politique de maintien de l’emploi en période de crise, notamment grâce au chômage partiel. Le Canada a également montré une forte capacité d’adaptation en conjuguant flexibilité, formation et soutien budgétaire ciblé. La France, de son côté, poursuit une stratégie de convergence progressive entre ces différents modèles.

Les politiques de lutte contre le chômage se répartissent entre deux grands axes : les politiques macroéconomiques de soutien de la demande, qui stimulent l’activité à court terme, et les politiques structurelles de l’emploi, qui cherchent à améliorer durablement le fonctionnement du marché du travail. Les premières relèvent d’une logique keynésienne et visent à relancer la production ; les secondes reposent sur la réduction du coût du travail, la formation et la flexibilisation. La clé réside dans la combinaison de ces approches : une économie capable à la fois de créer des emplois lorsque la conjoncture est favorable et de limiter les pertes lorsque survient la crise. L’objectif final n’est pas de supprimer le chômage – ce qui serait illusoire – mais de le contenir à un niveau soutenable tout en favorisant la qualité et la stabilité de l’emploi.

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