CH03 – Lutter contre le chômage : mécanismes, enjeux et politiques publiques

Economie

Comprendre pourquoi le chômage persiste, comment il évolue et quelles politiques peuvent réellement le faire reculer. Un parcours simple, précis, avec des exemples récents et les notions clés du programme.

Le chômage n’est pas toujours lié à la conjoncture économique. Même en période de croissance, certains individus restent durablement sans emploi tandis que des entreprises peinent à recruter. Ce type de chômage, appelé chômage structurel, résulte de déséquilibres profonds dans le fonctionnement du marché du travail. Deux causes principales en expliquent la persistance : les difficultés d’appariement entre offre et demande de travail et les asymétries d’information.

I. Les problèmes d’appariement entre offre et demande de travail

Sur le marché du travail, la rencontre entre employeurs et demandeurs d’emploi n’est ni instantanée ni parfaite. Chercher un emploi ou recruter un salarié demande du temps, des démarches et des informations. Ces délais sont appelés frictions. Le chômage frictionnel est ainsi le résultat de ces délais d’ajustement : une personne peut être au chômage non parce qu’il n’existe pas d’emploi, mais parce qu’elle n’a pas encore trouvé le poste qui correspond à son profil, ou que l’entreprise n’a pas encore identifié le bon candidat.

Mais ces frictions sont parfois amplifiées par des inadéquations structurelles. Le marché du travail peut manquer d’adaptation entre les compétences offertes et les besoins des entreprises. On parle alors de désajustement des qualifications. En France, de nombreux secteurs – comme le bâtiment, l’hôtellerie, les métiers du soin ou l’industrie – connaissent une pénurie de main-d’œuvre, alors même que plusieurs centaines de milliers de personnes restent au chômage. Cette situation illustre une mauvaise répartition des compétences. Les politiques de formation professionnelle et d’orientation jouent ici un rôle essentiel : lorsqu’elles sont insuffisantes ou mal ciblées, elles aggravent ces déséquilibres.

Les inadéquations géographiques contribuent également au chômage structurel. Certains territoires connaissent un excès de main-d’œuvre disponible tandis que d’autres peinent à recruter. En France, le taux de chômage dépasse 9 % dans certaines régions du nord ou du sud, alors qu’il se situe autour de 5 % en Bretagne ou dans le Pays de la Loire. Au Canada, le taux de chômage est inférieur à 5 % au Québec, mais supérieur à 7 % à Terre-Neuve-et-Labrador. Ces écarts traduisent à la fois la mobilité inégale des travailleurs et la concentration régionale des emplois qualifiés. Le coût du logement, la distance ou l’attachement familial limitent souvent la mobilité géographique, maintenant un chômage élevé dans certaines zones.

Les économistes Peter Diamond, Dale Mortensen et Christopher Pissarides ont modélisé ces difficultés dans ce qu’on appelle le modèle d’appariement, qui leur a valu le prix Nobel d’économie en 2010. Ce modèle montre que même si les offres et les demandes d’emploi sont équilibrées en moyenne, les frictions et les inadéquations créent un chômage « naturel », incompressible, qui subsiste indépendamment du cycle économique.

 

II. Les asymétries d’information : un obstacle à l’embauche efficace

Une autre source importante de chômage structurel réside dans les asymétries d’information. Sur le marché du travail, les employeurs et les salariés ne disposent pas des mêmes informations. L’entreprise ignore souvent la productivité réelle ou la motivation d’un candidat, tandis que le travailleur connaît mal les conditions exactes du poste, la culture de l’entreprise ou sa stabilité financière. Ces incertitudes peuvent bloquer la rencontre entre l’offre et la demande.

Avant l’embauche, cette asymétrie engendre ce que l’on appelle la sélection adverse. Les employeurs, craignant de se tromper, peuvent proposer des salaires trop faibles ou multiplier les critères de recrutement, ce qui décourage les bons candidats. C’est un peu le même mécanisme que sur le marché des voitures d’occasion décrit par l’économiste George Akerlof : face à l’incertitude sur la qualité du produit, les acheteurs veulent payer moins, ce qui pousse les bons vendeurs à se retirer du marché. Sur le marché du travail, le même effet peut conduire à un chômage involontaire : les bons candidats ne trouvent pas de poste faute d’information crédible sur leurs compétences.

Après l’embauche, une autre forme d’asymétrie peut apparaître : c’est le problème d’aléa moral. Une fois recruté, le salarié peut réduire ses efforts sans que l’employeur s’en rende compte immédiatement. Pour éviter ce risque, certaines entreprises versent un salaire d’efficience supérieur au salaire de marché afin d’inciter les travailleurs à fournir un effort élevé et à rester motivés. Cette pratique, analysée notamment par Joseph Stiglitz et George Akerlof, permet de limiter les comportements opportunistes, mais elle contribue aussi à maintenir un chômage structurel : si les entreprises paient au-dessus du salaire d’équilibre, elles n’embauchent pas tout le monde, ce qui laisse une partie de la main-d’œuvre sans emploi.

Les asymétries d’information expliquent donc pourquoi le marché du travail ne s’équilibre pas spontanément. Même en l’absence de crise économique, il peut exister un niveau de chômage incompressible lié à ces problèmes d’information imparfaite et de coordination.

 

III. Les conséquences sur la nature du chômage

Ces deux mécanismes – frictions d’appariement et asymétries d’information – donnent naissance à un chômage que les politiques conjoncturelles, comme la relance de la demande, ne suffisent pas à résorber. Il faut des politiques structurelles, c’est-à-dire des réformes qui agissent sur le fonctionnement du marché du travail lui-même : amélioration de la formation, simplification du recrutement, incitations à la mobilité, accompagnement renforcé des chômeurs.

On comprend alors pourquoi certains pays parviennent à maintenir un faible taux de chômage malgré les crises économiques : ils disposent de marchés du travail plus fluides et d’une meilleure adéquation entre les qualifications et les emplois proposés. C’est le cas de l’Allemagne, qui a réformé son système d’apprentissage dès les années 2000, ou du Canada, qui a développé des programmes régionaux de reconversion professionnelle. À l’inverse, les pays où la formation est trop rigide ou mal adaptée, comme la France ou l’Espagne, connaissent un chômage structurel plus élevé.

 

Le chômage structurel trouve son origine dans le fonctionnement même du marché du travail. Les difficultés d’appariement entre les offres et les demandes d’emploi, qu’elles soient liées à la qualification, à la mobilité géographique ou à l’information imparfaite, empêchent l’équilibre entre l’offre et la demande de travail. Les asymétries d’information, quant à elles, provoquent des comportements de sélection et d’incitation qui limitent les embauches. L’ensemble de ces mécanismes explique pourquoi un certain niveau de chômage subsiste même en période de croissance. C’est ce que les économistes appellent le taux de chômage naturel, un niveau plancher que les politiques économiques doivent chercher à abaisser par des réformes structurelles, sans espérer le faire disparaître totalement.

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