Le chômage n’est pas toujours lié à la conjoncture
économique. Même en période de croissance, certains individus restent
durablement sans emploi tandis que des entreprises peinent à recruter. Ce type
de chômage, appelé chômage structurel, résulte de déséquilibres profonds
dans le fonctionnement du marché du travail. Deux causes principales en
expliquent la persistance : les difficultés d’appariement entre offre et
demande de travail et les asymétries d’information.
I. Les problèmes d’appariement entre offre et
demande de travail
Sur le marché du travail, la rencontre entre employeurs et
demandeurs d’emploi n’est ni instantanée ni parfaite. Chercher un emploi ou
recruter un salarié demande du temps, des démarches et des informations. Ces
délais sont appelés frictions. Le chômage frictionnel est ainsi le
résultat de ces délais d’ajustement : une personne peut être au chômage non
parce qu’il n’existe pas d’emploi, mais parce qu’elle n’a pas encore trouvé le
poste qui correspond à son profil, ou que l’entreprise n’a pas encore identifié
le bon candidat.
Mais ces frictions sont parfois amplifiées par des inadéquations
structurelles. Le marché du travail peut manquer d’adaptation entre les
compétences offertes et les besoins des entreprises. On parle alors de désajustement
des qualifications. En France, de nombreux secteurs – comme le bâtiment,
l’hôtellerie, les métiers du soin ou l’industrie – connaissent une pénurie de
main-d’œuvre, alors même que plusieurs centaines de milliers de personnes
restent au chômage. Cette situation illustre une mauvaise répartition des
compétences. Les politiques de formation professionnelle et d’orientation
jouent ici un rôle essentiel : lorsqu’elles sont insuffisantes ou mal ciblées,
elles aggravent ces déséquilibres.
Les inadéquations géographiques contribuent
également au chômage structurel. Certains territoires connaissent un excès de
main-d’œuvre disponible tandis que d’autres peinent à recruter. En France, le
taux de chômage dépasse 9 % dans certaines régions du nord ou du sud, alors
qu’il se situe autour de 5 % en Bretagne ou dans le Pays de la Loire. Au
Canada, le taux de chômage est inférieur à 5 % au Québec, mais supérieur à 7 %
à Terre-Neuve-et-Labrador. Ces écarts traduisent à la fois la mobilité inégale
des travailleurs et la concentration régionale des emplois qualifiés. Le coût
du logement, la distance ou l’attachement familial limitent souvent la mobilité
géographique, maintenant un chômage élevé dans certaines zones.
Les économistes Peter Diamond, Dale Mortensen et
Christopher Pissarides ont modélisé ces difficultés dans ce qu’on appelle
le modèle d’appariement, qui leur a valu le prix Nobel d’économie en
2010. Ce modèle montre que même si les offres et les demandes d’emploi sont
équilibrées en moyenne, les frictions et les inadéquations créent un chômage «
naturel », incompressible, qui subsiste indépendamment du cycle économique.
II. Les asymétries d’information : un obstacle
à l’embauche efficace
Une autre source importante de chômage structurel réside
dans les asymétries d’information. Sur le marché du travail, les
employeurs et les salariés ne disposent pas des mêmes informations.
L’entreprise ignore souvent la productivité réelle ou la motivation d’un
candidat, tandis que le travailleur connaît mal les conditions exactes du
poste, la culture de l’entreprise ou sa stabilité financière. Ces incertitudes
peuvent bloquer la rencontre entre l’offre et la demande.
Avant l’embauche, cette asymétrie engendre ce que l’on
appelle la sélection adverse. Les employeurs, craignant de se tromper,
peuvent proposer des salaires trop faibles ou multiplier les critères de
recrutement, ce qui décourage les bons candidats. C’est un peu le même
mécanisme que sur le marché des voitures d’occasion décrit par l’économiste George
Akerlof : face à l’incertitude sur la qualité du produit, les acheteurs veulent
payer moins, ce qui pousse les bons vendeurs à se retirer du marché. Sur le marché
du travail, le même effet peut conduire à un chômage involontaire : les bons
candidats ne trouvent pas de poste faute d’information crédible sur leurs
compétences.
Après l’embauche, une autre forme d’asymétrie peut
apparaître : c’est le problème d’aléa moral. Une fois recruté, le
salarié peut réduire ses efforts sans que l’employeur s’en rende compte
immédiatement. Pour éviter ce risque, certaines entreprises versent un salaire
d’efficience supérieur au salaire de marché afin d’inciter les travailleurs
à fournir un effort élevé et à rester motivés. Cette pratique, analysée
notamment par Joseph Stiglitz et George Akerlof, permet de limiter les
comportements opportunistes, mais elle contribue aussi à maintenir un chômage
structurel : si les entreprises paient au-dessus du salaire d’équilibre, elles
n’embauchent pas tout le monde, ce qui laisse une partie de la main-d’œuvre
sans emploi.
Les asymétries d’information expliquent donc pourquoi le
marché du travail ne s’équilibre pas spontanément. Même en l’absence de crise
économique, il peut exister un niveau de chômage incompressible lié à ces
problèmes d’information imparfaite et de coordination.
III. Les conséquences sur la nature du chômage
Ces deux mécanismes – frictions d’appariement et
asymétries d’information – donnent naissance à un chômage que les politiques
conjoncturelles, comme la relance de la demande, ne suffisent pas à
résorber. Il faut des politiques structurelles, c’est-à-dire des
réformes qui agissent sur le fonctionnement du marché du travail lui-même :
amélioration de la formation, simplification du recrutement, incitations à la
mobilité, accompagnement renforcé des chômeurs.
On comprend alors pourquoi certains pays parviennent à
maintenir un faible taux de chômage malgré les crises économiques : ils
disposent de marchés du travail plus fluides et d’une meilleure adéquation
entre les qualifications et les emplois proposés. C’est le cas de l’Allemagne,
qui a réformé son système d’apprentissage dès les années 2000, ou du Canada,
qui a développé des programmes régionaux de reconversion professionnelle. À
l’inverse, les pays où la formation est trop rigide ou mal adaptée, comme la France
ou l’Espagne, connaissent un chômage structurel plus élevé.
Le chômage structurel trouve son origine dans le
fonctionnement même du marché du travail. Les difficultés d’appariement entre
les offres et les demandes d’emploi, qu’elles soient liées à la qualification,
à la mobilité géographique ou à l’information imparfaite, empêchent l’équilibre
entre l’offre et la demande de travail. Les asymétries d’information, quant à
elles, provoquent des comportements de sélection et d’incitation qui limitent
les embauches. L’ensemble de ces mécanismes explique pourquoi un certain niveau
de chômage subsiste même en période de croissance. C’est ce que les économistes
appellent le taux de chômage naturel, un niveau plancher que les
politiques économiques doivent chercher à abaisser par des réformes
structurelles, sans espérer le faire disparaître totalement.